+ Le sel de Sodome :
"Et alors qu'ils les emmenaient, il dit : "Sauve ta vie! Ne te retourne pas" ... Mais sa femme jeta un regard derrière lui et fut transformée en statue de sel" (Vayéra 19,17-26)
-> La femme de Lot, qui n'a pas tenu compte de l'ordre de l'ange et s'est retournée pour regarder la destruction de Sodome, a été transformée en statue de sel.
Selon Rachi (v. 26), comme elle avait fauté avec du sel, elle fut punie avec du sel.
Comme le décrit Rachi (d'après le midrach Béréchit rabba 50,4), lorsque Lot invita les anges chez lui, il demanda à sa femme de leur donner du sel pour assaisonner leur nourriture. Non seulement elle refusa, mais elle l'accusa : "Maintenant, tu veux aussi introduire cette mauvaise coutume dans notre ville?"
Selon une autre opinion dans le midrach (Béréchit rabba 51,5), elle alla de voisin en voisin pour leur demander de lui prêter du sel, annonçant que son mari recevait des invités, afin que les habitants de la ville viennent chez elle et attaquent les invités.
Le Midrash Talpiyot (1: Anaf Icha) donne une autre version de la façon dont la femme de Lot a fauté avec du sel. Son surnom était en fait Méla'h, qui signifie sel. En effet, lorsque de pauvres vagabonds venaient frapper à sa porte pour mendier du pain, elle ne leur donnait que du sel, qui n'est pas exactement un aliment nourrissant. Dans leur souffrance, les victimes implorèrent Hachem de la punir en la transformant en un amas de sel. Elle interpréta à tort leur malédiction comme une bénédiction et répondit "Amen".
Lorsque vint le moment de la destruction de Sodome, ces prières amères furent exaucées et elle fut elle aussi punie.
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-> La guémara (Erouvin 17b ; 'Houlin 105b) note que le sel de Sodome (le méla'h Sédomit), peut rendre aveugle. En conséquence, nos Sages ont imposé le "mayim a'haronim", qui consiste à se laver les mains à la fin d'un repas afin d'éliminer cette substance toxique. (voir Ora'h 'Haïm 181:1, 10.)
=> Qu'est-ce que le sel de Sodome et comment rend-il aveugle?
Y a-t-il un lien avec la femme de Lot, son insensibilité au sel et son indifférence envers les nécessiteux?
-> La guémara (Béra'hot 6b) nous dit que Mar Zoutra a dit : "La principale récompense d'un jour de jeûne réside dans la charité dispensée" (agra détaanita, tsidkéta).
Selon de nombreux commentateurs (voir Michlé Yaakov sur Vayikra, 144), la véritable valeur d'un jeûne ne réside pas dans l'abstinence de nourriture, mais dans la corde sensible qui résonne chez la personne qui se prive de nourriture. Tout au long de l'année, lorsque l'estomac est plein, on ne peut pas vraiment comprendre le sort des pauvres et des affamés. Ce n'est que pendant le jeûne, lorsque l'on éprouve sa propre faim, qu'il est possible de s'identifier véritablement aux personnes qui souffrent de la faim ; cela amène la personne à réfléchir : "Imaginez un peu. Cet homme ressent cela toute l'année!"
Ce processus de réflexion donne à la personne une nouvelle capacité à donner la tsédaka avec générosité. Ainsi, la principale récompense ou le principal avantage du jeûne réside dans l'identification aux pauvres et le changement empathique qu'il peut apporter.
Cette notion est expliquée plus en détail par le rav 'Haïm Shmoulévitz (Si'hot Moussar 5731).
Le verset dit : "Hachem parla à Moché et à Aharon et leur donna des ordres concernant les Bné Israël" (Vaéra 6,13). Cependant, la Torah omet les détails des instructions qu'ils devaient transmettre aux Bné Israël.
La guémara (Yérouchalmi - Roch Hachana 3:5) nous dit que le commandement concernait la mitsva de shila'h avadim, qui consiste à libérer ses esclaves juifs après qu'ils aient travaillé pendant six ans (Michpatim 21,2).
Le rav 'Haïm Shmoulévitz souligne qu'il semble plutôt étrange de donner cette mitsva aux Bné Israël à ce moment-là, car elle ne serait applicable que plus de cinquante ans plus tard, après la conquête et l'établissement en terre d'Israël. Pourquoi ne pas avoir attendu au moins jusqu'au mont Sinaï, où d'autres mitsvot leur ont été données?
Le rav 'Haim Shmoulévitz explique que la mitsva consistant à renvoyer ses serviteurs est assez difficile. Après le prix d'achat initial, on dispose d'une aide gratuite pendant six ans, à laquelle on peut s'habituer. Soudain, après six années qui semblent courtes (le temps passant si vite!), la Torah exige non seulement que le maître libère l'esclave, mais qu'il le fasse en lui offrant divers cadeaux.
C'est précisément à ce moment-là, lorsque les Bné Israël ont appris que leur délivrance personnelle était imminente, qu'ils ont pu se mettre à la place de l'esclave et comprendre à quel point il aspirait à la liberté. C'était donc le moment idéal pour présenter cette mitsva aux Bné Israël.
Bien que le don de la Torah fût imminent, la période intermédiaire les aurait amenés à oublier la grande joie qu'ils avaient éprouvée lors de leur propre libération, et aurait rendu l'acceptation de cette mitsva d'autant plus difficile.
On peut mieux s'identifier aux besoins d'autrui lorsque l'on est soi-même confronté au même problème. Mais une fois sorti de cette situation difficile, on peut perdre ce sentiment d'identification, nécessaire pour susciter de la compassion pour autrui. [on trouve toute sorte d'excuse, pour remettre à plus tard ou diminuer notre potentielle aide. ]
De même, avant un repas ou pendant un jeûne, alors que j'ai encore faim, je peux comprendre la détresse de ceux qui n'ont pas de quoi se nourrir au quotidien.
Mais à la fin du repas ou après avoir rompu mon jeûne, ma soif étanchée et ma faim apaisée, je risque de perdre mon empathie. Et je risque de commencer à acquérir certains traits de caractère de Sodome, à devenir insensible à la faim des autres.
La guémara (Sanhédrin 109a) attribue l'arrogance et le mépris de Sodome envers les nécessiteux à leur grande richesse. Ils sont le paradigme du verset : "Yéchouroun est devenu gras et a protesté" (Haazinou 32,15).
La Torah (Lé'h Lé'ha 13,10) décrit la région de Sodome comme le jardin de Hachem (ké'gan Hachem).
Comme il est dit dans Iyov (28,5-6 ; et expliqué dans Pirké DéRabbi Eliezer 25), cette terre était très fertile ; elle produisait du pain à l'état fini, et les habitants extrayaient l'or, l'argent et les pierres précieuses directement du sol.
Les habitants de Sodome, qui vivaient selon l'adage : "Ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est à toi" (Pirké Avot 5,13), déclarèrent : "Puisque notre terre est si productive, pourquoi avons-nous besoin de voyageurs, qui viendront nous dépouiller de nos biens?" Ayant perdu de vue les besoins des autres, ils élaborèrent un plan pour s'assurer qu'aucun invité n'entrerait dans leur ville.
C'est peut-être pour cette raison, sur le plan symbolique, que nos Sages ont institué le mayim a'haronim à la fin du repas. Lorsqu'on a faim et qu'on s'assoit pour manger, on est plus disposé à aider un pauvre qui frappe à la porte pour demander de la nourriture, car on comprend ce que ressent le mendiant affamé. Mais après le repas, on peut ne plus se sentir aussi compatissant et même être agacé par le pauvre qui nous dérange.
C'est précisément à ce moment-là que le sel de Sodome risque d'avoir un effet néfaste. Le comportement de Sodome envers les mendiants et les étrangers était cruel et dur. Le refus de la femme de Lot de donner du sel aux invités (ou, selon d'autres versions, son habitude d'aller demander du sel ou de ne donner que du sel) était emblématique de son avarice impitoyable et répugnante. Elle fut donc punie en étant transformée en statue de sel, symbole de son crime.
Cela aide peut-être à expliquer autre chose. Avant leur disparition définitive, les habitants de Sodome furent frappés de cécité (Vayéra 19,11). Ils avaient abusé de leur don de la vue, fermant les yeux sur les nécessiteux. Ils perdirent donc leur capacité de voir.
Enfin, lorsque les Sages ont dit qu'il fallait accomplir mayim a'haronim parce que le sel de Sodome est nocif pour les yeux, ils voulaient peut-être dire par allusion, que terminer un bon repas présente un danger. Ce danger serait celui de devenir indifférent au sort des nécessiteux, ce qui, comme dans la ville de Sodome, pourrait nous "aveugler" à la faim endurée par les défavorisés.
Ainsi, après avoir terminé un repas satisfaisant, nous sommes tenus de nous laver du sel de Sodome et de nous purifier de l'insensibilité qui peut envahir notre cœur lorsque notre estomac est plein.
[rav Avraham Bukspan]