+ 'Had Gad'ya :
-> Dans son commentaire sur la Haggada, le Gaon de Vilna commente l'allégorie historique cachée dans les mots simples du poème 'Had Gadya :
Les mots "mon père" évoquent Yaakov Avinou, qui acheta le droit d'ainesse, représenté dans le poème par un jeune bouc, à son frère Essav. Yaacov légua ce droit d'ainesse à Yossef, le fils ainé de sa femme principale Ra'hel, bien que Yossef fût son 11e fils.
Ceci causa aux frères ainés de Yossef des sentiments indus de rancœur et de jalousie. Ces sentiments, et les actes qu'ils causèrent, tels que la vente de Yossef à des marchands d'épices ismaélites, sont évoqués par le chat qui mangea le chevreau.
[avant que la Torah ne fût donnée, la kéhouna (prêtrise) était l'une des prérogatives de la bé'hora (aîné). Comme les Cohanim devaient porter des vêtements particuliers pour accomplir le service divin, Yaacov fit fabriquer une tunique spéciale pour Yossef. Mais les frères de Yossef prirent ce cadeau bien intentionné de leur père comme un signe supplémentaire de ce qu'ils considéraient comme un favoritisme indu. C'est pourquoi ils l'arrachèrent avant de le jeter dans le puits (voir Kli Yakar sur Beréchit 27,3) ]
L'injustice des frères fut la cause de leur descente en Egypte et de l'asservissement du peuple sous l'autorité des cruels contremaitres égyptiens. Comme l'enseignent nos Sages : "A cause des 2 séla de fine laine que Yaakov donna à Yossef au-delà de ce qu'il donna à ses autres fils, les frères de Yossef l'envièrent et les événements s'enchainèrent jusqu'à ce que nos ancêtres descendent en Egypte" (guémara Shabbat 10b).
'Had Gadya décrit ces méchants contremaitres égyptiens comme le chien qui mordit le chat.
[ En quoi le chien symbolise-t-il les Egyptiens? Le rav Moché Shlomo Tolokhin, élève du Gaon de Vilna, cite des sources anciennes décrivant l'une des idoles égyptiennes comme l'image gravée d'un chien méchant. ]
Quand vint le moment de libérer Israël de l'esclavage, Hachem ordonna à Moché de lever son bâton et de faire venir des plaies sur l'Egypte. C'est le bâton de Moché qui frappa le chien.
Ce bâton fut transmis d'un dirigeant à l'autre à travers les générations jusqu'à la destruction du premier Temple (Zohar - Hakdama 6b), à cause des pratiques idolâtres du peuple juif.
A ce moment-là, le bâton leur fut repris ; cela aussi était une conséquence de l'idolâtrie. [le Gaon de Vilna explique que l'idolâtrie était la faute principale qui causa la destruction du premier Temple.]
[Un midrach (Yalkout Chimoni - 'Houkat 763) similaire enseigne : "Quand D. dit à Moché : 'Prends le bâton' (Bamidbar 20,8), Il parlait du bâton qui avait été en possession de Yaakov ... Il appartint ensuite à Moché ... en fin de compte, il appartint au roi David ... et ce bâton resta en possession d'un roi après l'autre jusqu'à la destruction du [premier] Temple. Ce bâton sera remis au machia'h". ]
Or la métaphore du feu est employée pour décrire le mauvais penchant pour l'idolâtrie qui est le feu qui brûla le bâton.
Les Anché Knesset Haguedola (membres de la Grandes Assemblées), les Sages qui vainquirent le yétser ara par leurs prières et leur jeûne de 3 jours, sont l'eau qui éteignit le feu de l'idolâtrie. C'est cette Assemblée vénérable qui fit construire le 2e Temple.
[la guémara (Yoma 69b) raconte la façon dont les Anché Knesset Haguedola ont supplié D. de détruire le yétser ara pour l'idolâtrie : "Ce yétser ara est ce qui a détruit le Temple, mis le feu au Hékhal, tué de nombreux tsaddikim et exilé Israël de son pays ; et pourtant, il continue à danser parmi nous! ... Ils jeunèrent pendant trois jours et nuits consécutifs et ce yetser ara leur fut livré. A ce moment-là, une forme de lion de feu sortit du Kodech Hakodachim". ]
Le bœuf qui but l'eau sert de double métaphore : il désigne le royaume d'Edom, c'est-à-dire l'Empire romain auquel nos Sages (guémara Pessa'him 118b) appliquent le verset : "un troupeau de bœufs parmi les veaux des nations" (Tehillim 68,31) ; c'est aussi la haine gratuite qui régnait dans le pays à l'époque du 2e Temple et qui fut la cause sous-jacente de la destruction par la main d'Edom.
Dans 'Had Gad'ya, le bœuf qui boit l'eau comprend donc 2 éléments qui s'associèrent pour détruire le Temple : la puissance militaire des légions romaines et la haine gratuite répandue parmi les Bné Israël. Cette analogie est renforcée par une interprétation allégorique originale de la première michna dans Bava Kama qui énumère 4 catégories de causeurs de dommage : chor (le bœuf), bor (le puits), ma'vé (le dévoilement) et hav'er (le feu).
[le terme mav'é, littéralement : dévoilement, fait allusion aux dents de l'animal qui sont couvertes par les lèvres lorsqu'il ne mange pas, mais qui sont dévoilées lorsqu'il mange.
Employé dans la Michna, le mot ma'vé évoque les dommages secondaires infligés par un animal au cours d'une activité agréable. Le principal exemple est le dommage causé par un animal affamé qui mange un aliment appartenant à quelqu'un d'autre que son propriétaire.
Un autre exemple est le dommage causé par un bœuf qui se frotte contre un mur pour calmer ses démangeaisons et renverse le mur.]
Selon cette interprétation, les trois derniers causeurs de dommage représentent les trois causes sous-jacentes de la destruction du Temple : le meurtre, l'adultère et l'idolâtrie : le bor/puits (ou tombe) est une métaphore de la mort ou du meurtre, ma'vé dévoilement symbolise l'adultère et hav'er/le feu fait allusion au yétser ara pour l'idolâtrie.
La défaillance spirituelle principale qui conduisit à la destruction du 2e Temple par I'Empire romain était la haine gratuite, qui reflète le dommage effectué par les pas lourds et maladroits d'un chor/ bœuf.
Edom représente un bœuf puissant parmi les nations non saintes, mais il existe un bœuf puissant correspondant dans le royaume de la sainteté, machia'h ben Yossef, le mahcia'h qui se lèvera parmi les descendants de Yossef, comme le dit Moché dans sa bénédiction aux tribus de Yossef : "[Yossef est] Son premier-né, la majesté est sienne ; ses cornes sont les cornes du bœuf sauvage avec lesquelles il encornera les nations" (Dévarim 33.17).
Machia'h ben Yossef soumettra, mettra à l'épreuve et vaincra les descendants d'Essav/Edom.
[Comme l'enseigne la guémara (Bava Batra 123b) : "les descendants d'Essav ne tomberont devant nulle autre que la descendance de Yossef" ).]
Dans 'Had Gad'ya, Machia'h ben Yossef est représenté par le cho'het qui abat le bœuf.
Une fois que machia'h ben Yossef aura vaincu Edom, il succombera à Samaël, l'ange de destruction décrit comme l'Ange de la mort qui abattit le cho'het.
Ensuite, Hachem viendra, amènera avec Lui machia'h ben David et abattra l'Ange de la mort.
Israël reviendra alors à son niveau spirituel passé, et le bâton qui appartint successivement à Yaacov, Moché, le roi David et tous les rois de sa dynastie, et qui avait été enlevé à notre peuple avec la destruction du premier Temple, sera rendu au peuple juif.
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=> Nous voyons que la sinat hinam (haine gratuite) des frères de Yossef a conduit à l'esclavage en Egypte, et la sinat 'hinam répandue dans les dernières années du 2e Temple est responsable de sa destruction et de l'exil du peuple juif hors de sa terre.
La correspondance entre notre exil en Egypte et notre exil d'Erets Israël est donc évidente. Les Bné Israël descendirent en Egypte à cause de la haine gratuite ;" ils y devinrent un grand peuple [unifié]" et furent délivrés.
De même, les Bné Israël descendirent dans notre exil actuel à cause de la haine gratuite, et font à présent une prière fervente, par le poème allégorique Had Gadya, pour supplier D. d'envoyer machia'h ben Yossef, le cho'het qui abattra le bœuf de la haine gratuite, traçant ainsi la voie au machia'h ben David qui nous fera devenir une nation unie, méritant la délivrance, et nous ramènera sur notre terre pour toujours.
Il reste pourtant une question : pourquoi le poète anonyme ayant composé 'Had Gadya a-t-il caché cette prière dans un poème aussi trompeusement simple?
La réponse à cette question est que le poète ne voulait pas distraire les participants du thème principal du soir du Séder qui est la louange et les remerciements à D. d'avoir délivré le peuple juif de l'esclavage en Egypte en les déconcentrant et en réduisant leur joie par le rappel de l'exil actuel et de notre Délivrance tant espérée.
b'h, puisse la guéoula arriver bientôt, à notre époque …
[ rabbi Dovid Hofstedter - Darach David]